La mise en scène de Daniel Benoin situe l’action au début de la guerre d’Espagne. Une mise en scène étonnante remarquablement servie par des chanteurs qui interprètent leurs personnages avec éclats. À commencer par Ramona Zaharia dans le rôle-titre et Jean-François Borras en Don José.
Nice (Alpes-Maritimes), envoyé spécial.
Carmen de Bizet représente sans doute l’opéra le plus populaire qui existe. Ses airs sont connus, faciles à fredonner voire à chanter et les scènes s’enchaînent comme des séquences cinématographiques. Elles racontent le mythe d’une femme fière et sûre de ses choix. Elle porte en elle cette émancipation qui n’est possible qu’en chérissant la liberté. Une liberté qui s’exprime dans son pouvoir de séduction et le refus d’être l’objet du désir des hommes.
Cousine de l’Esmeralda de Notre-Dame de Paris dont la beauté causera sa perte, Carmen ira librement à une mort qu’elle semble avoir choisie. Mais le livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy recèle beaucoup d’autres aspects, à commencer par le statut social de Carmen, une cigarillère, une ouvrière d’usine de cigares. Et puisque l’histoire se déroule en Espagne, à Séville ; pourquoi ne pas sortir de la simple image d’Epinal des corridas et des arrogants toreros (les fameux toréadors de l’opéra) afin d’immerger le drame dans un décor historique bien réel ?
Carmen, tout à la fois
Daniel Benoin, pour sa mise en scène, a choisi de transposer l’histoire entre le 20 juillet et le 15 août 1936, un épisode terrible pour cette ville de Séville, entre le 20 juillet et le 15 août 1936. La guerre d’Espagne vient d’éclater. La capitale de l’Andalousie est tombée aux mains des fascistes franquistes avec, à leur tête, le général Queipo de Llano qui fait exécuter 3 000 personnes. C’est le portrait de ce boucher que l’on retrouve sur la scène où s’agitent des soldats nationalistes lorsque s’ouvrent les portes de l’usine.
En sortent les ouvrières. La grâce face à la bestialité en quelque sorte. Sur la photo du fasciste, Carmen inscrit son nom à elle et l’affuble de gigantesques moustaches à la Dali. José le Navarrais n’a qu’à bien se tenir. Preuve de ce que recèle l’opéra, le metteur en scène peut respecter le livret et laisser ses personnages évoluer, tout entier fondus dans l’expression musicale.
La Bodega de l’acte II, qui va aboutir au ralliement du brigadier Don José au camp républicain pour les yeux de sa belle, est l’endroit où la bourgeoisie exprime son soutien aux franquistes. L’acte III, avec la scène de la contrebande, convient bien à des livraisons d’armes aux républicains et l’acte IV au triomphe des fascistes dans une Séville qu’ils contrôlent, avec un Escamillo en habits de lumière. Et puis, il y a Micaëla, jeune paysanne pudique et naïve, fiancée à Don José, que Carmen lui ravit. Elle est tout à la fois symbole de la pureté, de la famille et de la religion. La projection de vidéos sur un voile sert de transition entre chaque tableau.
Carmen, pour toujours
Les choix de Daniel Benoin sont portés avec éclats par une distribution étonnante. À commencer par la mezzo-soprano Ramona Zaharia au timbre puissant, au jeu naturel et à la présence envoûtante sur scène, idéale pour le caractère bien trempé de Carmen. Le ténor Jean-François Borras interprète lui aussi avec ardeur un Don José, fou d’amour et de jalousie, plein d’une fragilité émouvante. Il est pour nous l’interprète le plus marquant, même si le baryton Jean-Fernand Setti a su imposer son personnage, par son physique de géant, mais surtout en l’enrobant de sa tessiture veloutée.
La soprano Perrine Madoeuf campe une étonnante Micaëla, qui rend par un chant pur et passionné, le désespoir de la campesina. L’écrin musical dans lequel ils s’expriment est créé avec bonheur par le chef Lionel Bringuier. Une baguette quasi magique pour diriger un philharmonique de Nice toujours aussi souple et sensible et des chœurs d’adultes et d’enfants à l’unisson. La musique de Bizet trouve là des arcanes nouveaux et étonnants. 150 ans après sa création, Carmen n’a pas fini de nous étonner.
Carmen de Georges Bizet, livret Henri Meilhac et Ludovic Hàlevy, direction musicale Lionel Bringuier, mise en scène Daniel Benoin. À l’Opéra de Nice les 30 mai (20 heures), 1er juin (15 heures), 3 juin (20 heures). Puis à Anthéa (Antibes) 11 et 13 juin (20 heures), 15 juin (16 h 30). Durée 3 heures avec entracte.