Le chant collectif n’a jamais autant eu la cote. Classique, folklorique, rock… Le répertoire s’est diversifié, et la France donne de la voix !
es années qu’elle y pensait. Aussitôt en retraite, Anne a sauté le pas et s’est inscrite dans la chorale de la ville où elle réside, dans l’Essonne. "Ma mère m’avait toujours dit que je chantais faux. Pourtant j’adorais ça. Dès que j’ai eu du temps pour moi, j’ai franchi le pas. C’était il y a huit ans. Aujourd’hui, je ne pourrais plus m’en passer." À 66 ans, cette ancienne institutrice a rejoint les quelque 3,5 millions de choristes amateurs. Ce chiffre, en augmentation depuis une vingtaine d’années, témoigne de l’engouement des Français pour un loisir autrefois considéré par certains comme un peu ringard.
Le pays compte entre 50 000 et 60 000 ensembles, donnant plus de 100 000 concerts par an : "C’est une pratique massive, sans doute l’une des activités musicales amateurs les plus importantes en France", confirme Guillaume Lurton, sociologue et auteur d’une étude en cours sur le chant collectif en France et ceux qui s’y adonnent.
Source Sarah Petibon Ca Minteresse
Cet attrait pour les chœurs ne date pas d’hier : le pays a toujours eu une tradition de chant choral bien ancré. On se souvient aussi du succès du film Les Choristes, de Christophe Barratier, sorti en 2004, et de l’enthousiasme qu’il avait suscité pour ces formations musicales.
Aujourd’hui, le public en redemande. Et France 3 l’a bien compris : après les danses et les chants folkloriques, la chaîne proposera en fin d’année une deuxième édition de son Grand Concours des régions consacré aux chorales amateurs.
Les chorales séduisent surtout les seniors et les femmes
Parmi les pratiquants réguliers, deux millions sont des adultes, soit 4 % des Français de plus de 18 ans. Comme Anne, qui chante dans la formation Zap'l d'air de Massy, la plupart des choristes pratiquent leur activité favorite dans un grand centre urbain. Comme elle aussi, ils ont, dans leur immense majorité, plus de 50 ans, et sont souvent à la retraite : "Ce profil s’explique d’abord par un effet de génération, analyse Guillaume Lurton. Une partie des pratiquants a découvert la discipline dans les mouvements d’éducation populaire des années 1950 aux années 1980. Mais il y a aussi un effet d’âge car il faut être disponible. La plupart des gens commencent quand les enfants partent du foyer familial ou lorsque l’activité professionnelle cesse."
On observe aussi une surreprésentation des femmes dans les chœurs, ces derniers peinant, à la campagne notamment, à recruter des voix masculines pour enrichir leurs pupitres. Les chefs de chœur, eux, se sont largement féminisés et professionnalisés en trente ans.
Chanter ensemble, le nouveau remède post-Covid qui séduit des milliers de Français
Comment expliquer cet engouement ? La jeune et dynamique cheffe de chœur Claire de Belloy a observé un basculement post-Covid. Cette ancienne candidate de The Voice pour qui "le chant est un médicament gratuit", a créé, en 2021, avec son mari, le Labo de Clairie, un réseau de chorales qui a essaimé un peu partout en France.
De Paris à Nantes (Loire-Atlantique) et à Rennes (Ille-et-Vilaine), de Lille (Nord) à Marseille (Bouches-du-Rhône), 19 formations ont vu le jour ces dernières années. À sa grande surprise, toutes se sont remplies en quelques jours ou presque et des listes d’attente ont dû être ouvertes pour faire face à la demande. "Après les longues périodes de repli sur soi et d’isolement provoqués par les différents confinements, les gens ont eu une très forte envie de se rassembler à nouveau, analyse-t-elle. On sentait un besoin de joie et de cohésion."
Si Côme Ferrand Cooper, président du réseau des 300 chorales À Cœur joie et directeur musical du festival Les Choralies, partage ce sentiment, il y voit aussi "une envie profonde de produire du bel ensemble et de le partager". Lui préfère appeler les choristes amateurs des "artistes bénévoles" car "ils sont poussés par une envie de faire entendre de la musique. Chanter dans une chorale est bien plus qu’un simple loisir". Beaucoup de choristes insistent aussi sur le plaisir et le bien-être que leur procure cette activité collective. "Le chœur offre un cadre protecteur" remarque encore Guillaume Lurton.
Pop, rock, gospel… Les chorales bousculent les codes du chant collectif
Depuis quelques années, la pratique a connu un certain nombre de changements poussant un public toujours plus nombreux à s’y intéresser. Côté répertoire d’abord. Finie l’hégémonie des grandes œuvres classiques, des chants scouts ou religieux.
Les musiques populaires sont désormais largement représentées. Seul un quart des chœurs amateurs se spécialisent sur un répertoire dit "savant". Les autres privilégient l’éclectisme en offrant à leurs membres la possibilité d’explorer un éventail allant parfois de Bach à Johnny Hallyday, en passant par le jazz, la pop ou le gospel. "Cette grande ouverture du répertoire a contribué à toucher des territoires moins densément peuplés" observe Guillaume Lurton pour souligner le dynamisme des chœurs en zone rurale.
Autre changement marquant, on ne chante plus uniquement dans les églises et les salles des fêtes des villages. Certains investissent désormais des lieux prestigieux, à l’image de Spectacul’art et ses 4 000 choristes qui ont interprété les grands succès de Claude François sur la scène de l’Accor Arena de Paris, l’été dernier, ou la tournée du Chœur des 15 000 voix qui se produira au Palais des Sports de Paris en mars 2026 et fera honneur "aux plus grands tubes du rock international". Au programme : Queen, les Rolling Stones, Led Zeppelin, les Beatles, AC/DC et bien d’autres. "Ces grosses opérations marquent les esprits, estime Côme Ferrand Cooper. Leur médiatisation offre une visibilité au chant choral et donne sans doute envie à certains de s’y essayer."
Les chorales participatives, nouveau phénomène social qui fait chanter les Français
Place aussi à de nouveaux formats comme les chorales participatives ou éphémères qui offrent la possibilité, sans répétitions préalables ni autre bagage qu’une pressante envie de chanter, de se retrouver dans des bars pour y pousser la chansonnette. Ces dernières années, le format fait fureur. Même le Centre Pompidou s’y est mis ! En septembre 2025, la prestigieuse institution culturelle parisienne a demandé à la chorale Envie de chanter de venir animer sa grande fête annuelle, la Pop’Arty, pour faire fredonner ses adhérents.
Écologie, féminisme, LGBTQIA+ : la révolution des chorales engagées
Autre tendance observée ces dernières années : l’apparition d’ensembles militants ou engagés. Anne Peyret, chercheuse et autrice d’une thèse sur les chorales féministes, note une explosion du phénomène depuis 2019. Fleurissent aussi un peu partout en France, et surtout dans les grands centres urbains, des formations explorant des répertoires révolutionnaires, écologistes ou encore LGBTQIA+. "Chanter des textes porteurs de valeurs et d’un message clair, entouré de gens ayant la même sensibilité, semble être un puissant moteur", note Guillaume Lurton. D’autres chœurs jouent sur l’identité et la transmission. David, lui, a rejoint une chorale juive. "Tout ce que je voulais, c’était chanter en yiddish, confie cet enseignant de 60 ans, membre de la chorale Mitatam, à Paris. Une manière pour moi de me relier à mon judaïsme et de faire vivre ce patrimoine culturel."
Le chant choral séduit les jeunes : une pratique en plein essor à l’école
Le monde de l’éducation a pris la mesure des bénéfices de cette activité, et des efforts ont été faits pour intégrer la pratique au cursus scolaire. Le nombre de mineurs qui affirment avoir pratiqué le chant collectif a ainsi triplé en trente ans. "Dans ce domaine, le grand enjeu est la formation des enseignants et des chefs de chœurs, décrypte Guillaume Lurton. Plus l’enseignement est de qualité, plus vous créez les conditions pour l’éclosion d’une pratique pérenne." Un atout supplémentaire pour renforcer la pérennité de la discipline.
Au bureau aussi, on peut chanter
Elles font tant de bien au moral des troupes que nombre d’entreprises ont décidé de s’y mettre. Depuis plusieurs années, PME, start-up et entreprises du CAC 40 offrent à leurs salariés la possibilité de chanter ensemble. Chez Sanofi, BNP-Paribas, Air France, Hachette, Allianz, Orange, La Banque postale et bien d’autres, ils peuvent donner de la voix à l’heure de la pause déjeuner. Les bienfaits évoqués sont multiples : détente, plaisir de progresser en groupe, attention réciproque accrue et renforcement de la cohésion.
Les chorales en chiffres
- 35 choristes en moyenne par chorale.
- 65% des chorales se trouvent dans des villes de 50 000 habitants et plus.
- Les 61-75 ans constituent l'une des deux classes d'âges dominantes, représentée dans 84% des chœurs. La seconde est la catégorie des 46-60 ans.
Sources :
- Les chœurs amateurs et leurs chef·fes en France : regard sur la pratique artistique de 3,5 millions de Français, Restitution de l’étude menée par un collectif d’acteurs majeurs du secteur, 21 mars 2024.
- Trois millions et demi de choristes en France, Enquête Ifop/A Cœur joie, 2020.
- Les amateurs. Enquête sur les activités artistiques des Français, Olivier Donnat, 1996.