La production du Don Giovanni de Mozart au Théâtre du Capitole de Toulouse, mise en scène par Agnès Jaoui, était dirigée par le jeune chef Riccardo Bisatti et réunissait Mikhail Timoshenko, Kamil Ben Hsaïn Lachiri, Alix Le Saux, Marianne Croux, Valentin Thill, Francesca Pusceddu, Timothée Varon et Adrien Mathonat.
Il est des productions qui semblent frôler la perfection. À Toulouse, ce Don Giovanni est une merveille qui fera date. Agnès Jaoui ne cache pas son admiration ni sa fidélité au chef-d’œuvre de Mozart et au génial livret de l’Abbé Da Ponte.
Le jeune chef italien de 23 ans, Riccardo Bisatti, remplaçant Tarmo Peltokoski, magnifie cette partition avec un talent incroyable.
Il met en valeur toutes les facettes, tout en faisant avancer le drame inexorablement. La distribution est homogène, et les chanteurs-acteurs se révèlent très émouvants.
Dès l’ouverture, l’auditeur est captivé par la richesse orchestrale. L’orchestre du Capitole déploie virtuosité, phrasés élégants et nuances subtiles. La direction de Bisatti souligne les détails, fait avancer le drame avec majesté et conserve l’humour caractéristique du dramma giocoso.
À l’ouverture du rideau, la beauté des décors d’Éric Ruf est à couper le souffle. Leur mobilité remarquable permet des transitions fluides : les maisons et palais bougent, le rideau tombe, les lustres descendent doucement, et les lumières changent pour préparer la scène suivante.
Bertrand Couderc crée des lumières poétiques et subtilement réglées, rendant parfaitement l’impression de nuit tout en éclairant visages et mains des chanteurs. Les costumes de Pierre-Jean Laroque, seyants et élégants, facilitent les déplacements et renforcent la cohérence des personnages. C’est un travail d’équipe qui valorise chaque rôle sans en sacrifier aucun.
Il n’y a ni grande originalité, ni vision révolutionnaire, mais un goût exquis et un hommage discret au film de 1979 Don Giovanni de Joseph Losey comme au théâtre classique de la plus belle qualité. Nous sommes bien dans la pièce de Mozart et Da Ponte, adaptée au XVIIIe siècle à partir du mythe antique.
La mise en scène d’Agnès Jaoui rend la dramaturgie claire et fidèle, avec une direction d’acteurs remarquable. Il y a beaucoup de déplacements, des mains qui se touchent, des corps pleins de désir, des pudeurs qui se rapprochent ou s’éloignent.
C’est un théâtre vivant, naturel et sensuel. Les mains baladeuses de Don Giovanni sont parfois brutales mais toujours sensuelles, tandis que celles d’Anna et Don Ottavio sont plus pudiques mais pressantes. Anna a des gestes vengeurs permanents, et Ottavio est un amant très engagé.
Le couple Zerlina-Masetto est également très naturel, malgré des revirements assez radicaux. Don Giovanni est tour à tour violent, doux, joyeux, moqueur, mais toujours charmant. Le personnage a la grande richesse attendue. Leporello assume la partie giocoso avec bonhomie et esprit. Donna Elvira arrive en chaise à porteurs. C’est une femme de haut rang, dominée par un amour sensuel qui la ronge. Chaque fois qu’il le peut, le séducteur la touche, la prend dans ses bras… on la voit véritablement fondre, dans un jeu scénique très physique et juste.
Côté chant, la distribution brille à chaque instant. Mikhael Timoshenko incarne un Don Giovanni à la voix claire, pouvant s’ombrer et se durcir. Le moelleux du timbre permet à la séduction d’opérer. Il assume le tragique de son destin avec grandeur, porté par une voix riche et vibrante.
Kamil Ben Hsaïn Lachiri, en Leporello, mène une prise de rôle brillante et entretient des interactions riches avec son maître et les autres personnages. Sa belle voix se contrefait avec beaucoup d’efficacité.
La Donna Elvira d’Alix Le Saux est passionnante vocalement et scéniquement. La complexité du personnage est délicieusement rendue : la voix est longue, bien timbrée et parfaitement conduite.
Marianne Croux incarne une Donna Anna royale, au timbre virtuose et généreux, tandis que Valentin Thill offre un Don Ottavio crédible et passionné, révélant la noblesse du personnage.
Francesca Pusceddu est une Zerlina gracieuse et coquine, à la voix fruitée et acidulée. Timothée Varon est un Masetto sonore et consistant, tandis qu’Adrien Mathonat impose un Commandeur impressionnant.
Les moments musicaux, tels que le trio de la statue au cimetière, sont magnifiquement rendus, renforcés par la scénographie et la lumière.
Le rayon de lune diffusé à travers une fenêtre offre un climax impressionnant, musicalement et visuellement.
De nombreuses idées scéniques enrichissent la production : lors de la fête, des musiciens se tiennent sur scène, et la spatialisation du son crée un effet spectaculaire. Le retour de Don Giovanni après le final enjoué est maintenu, présenté de façon plus concise, dans un clin d’œil subtil à l’immortalité du séducteur.
La production, proche de la perfection, marque la véritable ouverture de la saison du Capitole, car Thaïs, qui a ouvert officiellement la saison, était une production ancienne et invitée.
Le public, ayant pris d’assaut les réservations, a accueilli l’œuvre avec enthousiasme. Retrouver le vrai Don Giovanni de Da Ponte et Mozart devient rare et mérite d’être salué. Christophe Ghristi, en directeur, a su proposer une production mémorable.