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« Belle Jazz Club » d’Adrien Soleiman : l’arrangeur des stars sort de l’ombre

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Courtisé par Philippe Katerine, Juliette Armanet ou Alain Chamfort, l’arrangeur et saxophoniste laisse parler sa science du son dans un deuxième album étincelant, Belle Jazz Club (vol.1). Portait d’un homme-orchestre qui la joue collectif.

Il s’est tatoué le mot sur l’avant-bras, comme un pense-bête : « practice », pratiquer encore et toujours le saxophone pour ne pas perdre le fil, souffler inlassablement dans l’instrument par lequel tout a commencé. Arrangeur que le gratin musical s’arrache, homme-orchestre débonnaire et grand gaillard à l’accent banlieusard, Adrien Soleiman – de son vrai nom Adrien Daoud – reste toujours fidèle à ses sax, qu’ils soient alto, ténor ou baryton, sur chacune des huit gourmandises de Belle Jazz Club (vol.1), second opus solo d’un musicien à l’érudition en passe de devenir proverbiale.

Un album de jazz pop comme une flânerie cuivrée avec vue dégagée, un voyage entre potes réunis dans un vieux manoir de La Frette-sur-Seine (Val-d’Oise) reconverti en studio pour poser ensemble et sur bandes l’inspiration du moment. « Ça allait de soi d’appeler des gens avec qui je joue depuis longtemps, par fidélité et amitié. J’avais besoin des autres, de collaboration, d’échanges. Quand on aime les gens avec qui on joue, forcément on joue bien », livre Adrien Soleiman depuis le studio parisien qui lui sert de repaire, bondé de claviers en tous genres et de machines obscures.

Dix-sept morceaux en quatre jours et demi

C’est ici qu’avec Philippe Katerine ils ont enregistré le drôle de Zouzou et son tube olympique, Nu. C’est encore là qu’a germé ce nouvel album. « J’avais des centaines de mémos dans mon téléphone, sous formes de mélodies, d’accords, d’idées rythmiques, une espèce de bible que j’ai distribué au premier jour du studio », confie ce boulimique de musique.

Les bienheureux récipiendaires de ladite bible ont pour noms Élise Blanchard (basse), Arnaud Biscay et Louis Delorme (batteries), Adrien Edeline (guitare) ou encore son frère Maxime Daoud, lui aussi producteur en phase ascensionnelle pour Charlotte Gainsbourg ou Barbara Carlotti.

Une joyeuse bande de musiciens que Soleiman connaît bien pour les avoir pratiqués en tournée, assumant le rôle éreintant de directeur musical : « On était nombreux, avec beaucoup de sons et d’interactions. Dix-sept morceaux en quatre jours et demi, c’est épuisant. Il fallait s’adapter à l’humeur, à la fatigue. J’ai dû faire une sorte de management d’énergie. Mais on est tous des musiciens expérimentés, donc ça va vite. »

Savoir s’entourer, c’est une seconde nature pour ce musicien dont la renommée s’est construite dans l’ombre des stars : Juliette Armanet, Alain Chamfort et les héros de la « french touch » Air et Justice, pour lesquels il a arrangé les tournées, Malik Djoudi ou Philippe Katerine, dont il a habillé les derniers albums encensés.

Clubs de jazz et grammaire hard bop

Un labeur qui ne lui laisse que peu de temps de cerveau disponible pour concrétiser ses propres projets. « Je suis de plus en happé par l’administratif, le management, je dois gérer les mails. Il me faudrait un assistant… Et on m’appelle beaucoup en studio ou en live où je fais le taf de trois personnes. J’ai cette cartouche que les gens apprécient manifestement, et c’est cool économiquement », lâche-t-il fourbu mais lucide.

Avant la reconnaissance des pairs, Adrien Souleiman a épousé une trajectoire de bûcheur passionné, biberonné au jazz dès l’enfance, au conservatoire municipal d’Orly (Val-de-Marne), où un professeur fan de bossa décide de lancer un pôle jazz et l’initie au saxophone. Lorsqu’il déménage en famille dans la très bourgeoise ville du Raincy (Seine-Saint-Denis), un autre professeur, conservateur cette fois, s’entête à rendre l’instrument d’Adolphe Sax à sa vocation classique et lui désapprend ses rudiments de jazz.

Le musicien, du genre indiscipliné, prend la tangente et trouve refuge au Centre d’informations musicales (CIM), école éclectique du 18e arrondissement parisien, oublie de passer son bac, puis file au conservatoire à rayonnement régional d’Aubervilliers-La Courneuve où il est mis entre les mains du pianiste Claude Terranova, « un type loufoque et très fort ».

Puis c’est l’American School of Modern Music qui lui offre en fin de cursus une bourse pour le prestigieux Berklee College of Music de Boston. Mais plutôt que de tenter l’aventure américaine, le saxophoniste écume les clubs de jazz de la capitale et potasse en quintet et quartet la grammaire hard bop des Joe Henderson, Dexter Gordon, Coltrane ou Wayne Shorter.

Dimension psychologique du métier

La base est solide, mais l’inspiration vagabonde. On entend dans Belle Jazz Club (vol.1) les réminiscences d’une musique diasporique puisée dans le roman familial, des Libanais installés en Guadeloupe depuis quatre générations. Une histoire chantée par l’invité Arthur Teboul (de Feu ! Chatterton) dans le morceau Grande-Terre.

« Je vais en Guadeloupe depuis que je suis né, mais je n’ai été que deux fois au Liban. On ne parlait pas arabe dans ma famille, mais créole. C’est un peu spécial », insiste-t-il. Si on y ajoute une femme arménienne de Syrie, on saisit les influences-monde qui traversent ses arrangements balancés et nourrissent le grain suave de son instrument.

Son goût pour l’hybridation, l’arrangeur l’avait déjà partagé il y a neuf ans dans Brille, premier album solo qui fit immédiatement courir la rumeur Soleiman. Le disque, à défaut de lui permettre de percer sous son nom, lui ouvre les portes des studios.

La décennie qui s’ouvre sera celle d’un labeur d’arrangeur. « C’est un boulot de confiance », confie-t-il, sachant pertinemment que la marge de manœuvre qui lui est laissée lui confie une lourde responsabilité : « À quel moment est-on arrangeur, compositeur ou juste musicien qui propose une idée ? Et à quel moment l’idée devient assez importante pour être jugée comme de l’arrangement ? Le périmètre est flou », pointe le musicien, comme traversé par un doute tout cartésien qui lui permet d’appréhender la dimension psychologique du métier.

« Quand on transforme quelque chose qu’au départ on n’aime pas trop en quelque chose qu’on finit par aimer, est-ce vraiment légitime ? On rentre dans la musique de quelqu’un, c’est très intime. Il ne faut jamais oublier que c’est la musique de l’autre », dit-il, heureux de pouvoir désormais proposer la sienne, sans jamais perdre de vue que la musique reste avant tout une aventure collective.

Belle Jazz Club (vol.1), d’Adrien Soleiman.

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