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Opéra Bastille : Don Giovanni

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Centrée sur la psychologie du séducteur impénitent, la mise en scène de Claus Guth révèle un Don Giovanni pris au piège de ses tourments. Loin de toute fanfaronnade, le héros est cerné. Du grand spectacle servi par un très beau plateau vocal.

La création avait fait sensation au festival de Salzbourg en 2008. La voilà enfin accueillie par l’opéra de Paris, sur la scène de Bastille, après avoir vadrouillé dans le monde entier. C’est un Don Giovanni étrange, naturaliste, dont l’intrigue s’enracine dans une forêt lugubre, que nous propose Claus Guth.

Le dispositif imaginé par le metteur en scène s’avère aussi rudimentaire qu’inventif : le plateau pivote, multipliant les angles de vue d’une forêt éclairée par une lune blême ou les phares blafards d’une voiture. Dans ce décor à l’ambiance angoissée, qui sied parfaitement à cet opéra-bouffe dynamité par le drame, le regard se perd, comme pour épouser les méandres psychiques de l’anti-héros. Et que rencontre-t-on dans une forêt, si ce ne sont des bêtes sauvages ?

Claus Guth fait de son Don Giovanni (Peter Mattei, toujours impressionnant bien qu’au timbre un peu émoussé), un animal blessé et traqué. Traqué par ses propres démons, qui prennent la forme de ses multiples conquêtes ou de son surmoi finalement incarné, si l’on peut dire, par la statue du commandeur.

Blessé, dès le préambule saisissant, quand Don Giovanni harcèle littéralement Donna Anna, avant que son père ne s’interpose et ne périsse sous les coups du séducteur. Car le père commandeur a porté l’estocade dans son agonie, ce que le livret ne dit pas.

Et voilà notre séducteur contraint de se traîner, mains ensanglantées, dans cette succession de scènes virevoltantes jusqu’à l’épilogue terrifiant (c’est ici la version de Vienne qui a été retenue, avec la mort finale du héros). De l’impasse dans laquelle il s’est fourré dès les premières minutes, il ne sortira guère. Il n’y a pas d’échappatoire.

Don Giovanni et ses errements filent l’opéra de bout en bout

La mise en scène s’en tient au péché initial et à ses prolongements, jusqu’à délaisser quelque peu les rôles secondaires que Mozart et son librettiste Lorenzo Da Ponte ont pourtant fortement caractérisés. C’est bien sûr Leporello (Alex Esposito, exalté en junkie survolté), le valet asservi aux fautes de son maître et en quête d’émancipation, ou Zerlina (fabuleuse Ying Fang), paysanne roublarde qui ne s’en laisse pas conter et suit son bon vouloir, Donna Anna éplorée et vengeresse, Masetto le cocu désappointé, Don Ottavio le loyal amoureux dépassé par les événements, ou Donna Elvira en vigie morale. Point, ici, de lecture sociale ou de (contre) lecture féministe.

C’est le personnage de Don Giovanni et ses errements qui filent l’opéra de bout en bout. Le propos est parfaitement assumé quand la scène finale se fait glaçante avec une statue du commandeur (hiératique John Relyea) transformée en fossoyeur : on le sait, Mozart a composé son opéra dans le deuil de son père. L’orchestre de l’Opéra de Paris, aux accents chambristes, placé sous la direction d’Antonello Manacorda, a parfois manqué de tranchant.

On pense à la scène du bal de la fin du premier acte, quand Mozart nous fait entendre, par un tour de force d’écriture, trois orchestres simultanément. Sans toutefois affadir cette partition d’une alchimie tragi-comique rare qui nous porte d’un mort à l’autre, sans répit.

Opéra Bastille à Paris, jusqu’au 12 octobre (avec une distribution changeante).

Source L'Humanité, Clémént Garcia

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