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Fête de l’Humanité : 1976, Charles Mingus le jazz à l’honneur

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La Fête de l’Humanité convie trois des musiciens qui ont placé le jazz à l’avant-garde des esthétiques modernes : Archie Shepp, Max Roach, et Charles Mingus. Un choix audacieux qui donnera lieu à une soirée légendaire.

La couverture est exceptionnelle. Plusieurs pages dans l’Humanité avant et après l’événement. « Victoire du jazz », affiche même le journal sur la largeur et en lettres capitales, le mercredi qui suit la Fête. Comment expliquer qu’en cette année 1976, la venue de trois ambassadeurs du jazz moderne, le contrebassiste Charles Mingus, le saxophoniste Archie Shepp et le batteur Max Roach, fasse l’objet d’un tel emballement ?

Le journaliste Alain Guérin insiste encore sur le « sentiment de victoire » après le « marathon musical de plusieurs heures » qui a électrisé le kiosque à musique, l’une des scènes de la Fête d’alors, et ne lésine pas sur les mots quand il salue une véritable ode à « l’acuité combattante et l’universelle portée de ce langage direct qu’est la musique noire américaine ».

Tout en faisant preuve d’une étrange contrition : « Il avait fallu que bien des incompréhensions fussent surmontées, bien des malentendus dissipés à l’égard des musiques noires américaines. Et du jazz en particulier », avance le journaliste qui soupçonne ses camarades d’avoir envisagé que le jazz ne puisse être que « bon à bercer les ultimes sursauts de l’agonie du capitalisme américain ». Terribles œillères qui suscitent une mobilisation extraordinaire de la rédaction.

On a même droit, dans les pages dédiées à la Fête de l’Humanité, à un long article en forme d’essai, signé Richard Crevier, sur l’importance de cette musique d’avant-garde. L’Humanité semble bien décidée à remplir son « rôle d’éclaireur », pour reprendre les mots de Guérin.

Faute de vodka, du beaujolais

Des journalistes sont dépêchés « à 4 heures du matin » pour recueillir la parole des gloires du jour, qui viennent d’enchaîner leurs sets respectifs. Shepp d’abord, qui s’agace d’une question sur le « mysticisme de John Coltrane », prophète free mort neuf ans plus tôt. « Je ne laisserai pas dire que John Coltrane était un mystique. Et si vous voyez un courant mystique dans le jazz actuel, c’est que vous en êtes resté au negro spiritual. Il s’est passé beaucoup de choses depuis, vous savez. »

Rude mais juste : n’était-ce pas le reproche que formulait Guérin ? Roach ensuite, qui enfonce le clou politique, évoque le Vietnam, les luttes aux États-Unis et salue ses hôtes : « Ce qu’il y a de fascinant quand on joue dans votre Fête ou celle de l’Unita en Italie, c’est la liberté que le public nous donne. »

Autre paire de manches avec Mingus, qui, fidèle à sa réputation de musicien bourru, répond par aphorismes au journaliste, quand il daigne le faire… « Moi, les communistes, je les connais depuis longtemps. Castro, c’est un copain », lâche-t-il cigare au bec, impressionnant du poids de ses 120 kilos, avant de fulminer : « Comment se fait-il que, dans une fête communiste, on n’ait pas de vodka à m’offrir ? »

Puis, le journaliste de courir au stand du Rhône pour lui ramener, faute de vodka, du beaujolais, qu’il descend cul sec. Le journal de la Ligue communiste révolutionnaire, Rouge, plus sensible aux avant-gardes, couvre amplement l’événement et salue « l’un des plus beaux concerts européens de Shepp », puis souligne la présence d’un public nombreux, tout en déplorant qu’il fut interloqué par l’audace des musiciens. Un pas en avant des masses, aurait dit Lénine, pas plus !

Source L'Humanité

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