Deux ans et demi après l'éclatement de l'affaire Weinstein, la parole des femmes, encouragées à témoigner avec l'ampleur prise par le mouvement #MeToo, continue de se libérer. Dans le cinéma ou le sport, dans le milieu hospitalier ou le monde politique, les témoignages de nombreuses victimes, comme l'actrice Adèle Haenel ou l'ancienne patineuse Sarah Abitbol, aident à briser l'omerta sur le climat de prédation sexuelle qui règne dans toutes les strates de la société patriarcale française.
A l'évidence, le secteur de la musique n'est pas épargné. Dans une vidéo réalisée avec le média Loopsider, la violoncelliste Camille Berthollet et la violoniste Julie Berthollet, âgées de 21 et 23 ans, dénoncent le harcèlement et les agressions sexuelles qu'elles ont subis dans le milieu de la musique classique, aussi bien dans leur parcours éducatif que leur vie professionnelle.
Gestes déplacés, remarques...
Les deux musiciennes, révélées grâce à leur participation à l'émission "Prodiges" sur France 2, expliquent sortir du silence en raison d'une « expérience de plus et probablement de trop avec un chef d'orchestre ». « Il s'est permis d'avoir des gestes totalement déplacés, de passer la main sur nous ou de venir nous renifler dans le cou en disant "C'est pour voir quelle odeur ont les rousses" » révèle Julie Berthollet, « dégoûtée » par un énième incident qui n'est que le triste reflet de leur quotidien : « Quand on se prend des gestes déplacés, une main qui traîne sur la jambe, un regard super appuyé sur le décolleté ou des remarques très déplacées sur la manière dont on est habillée plutôt que sur ce qu'on a joué, ça nous met très mal à l'aise, ça nous blesse, ça nous rend triste, on n'est pas bien avec ça (...) On se sent presque sales ».
Sa soeur Camille se remémore une anecdote particulièrement choquante, alors qu'elle était encore mineure à l'époque : « Quand j'avais 14-15 ans, j'avais reçu des remarques sur la taille de ma poitrine sur l'une de mes vidéos, alors que le mec devait avoir peut-être 60 ans ! J'ai trouvé ça juste écoeurant ».
"C'est encore assez tabou"
A travers leur témoignage, Camille et Julie Berthollet font état d'une culture profondément enracinée dans le sexisme : « C'est un milieu où il y a beaucoup de choses comme ça. On se le dit un peu dans le milieu, mais c'est encore assez tabou. Il y a plein de jeunes filles ou d'hommes qui ont peur de dire les choses en pensant qu'ils n'auront pas de carrière s'ils parlent ». Plus d'une musicienne sur quatre a déjà été victime de harcèlement sexuel, est-il rappelé. Les deux artistes poursuivent : « Certains professeurs, par exemple, on savait qu'on devait faire attention et pas aller en cours toute seule.
On connaît aussi des filles qui ont travaillé avec les mêmes profs que nous, qui étaient mineures et qui ont dû coucher avec le prof. Et les parents étaient au courant. Je trouve ça scandaleux que des parents laissent faire des choses comme ça ». En acceptant de raconter ce qu'elles ont vécu, Camille et Julie Berthollet espèrent inciter davantage de jeunes apprentis musiciens à « savoir dire non ». « Il ne faut jamais avoir peur de parler » concluent les deux soeurs.