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L'abandon des conservatoires par l'Etat est une faute politique majeure

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Emmanuel Dupuy, rédacteur en chef de Diapason, s'alarme du désengagement programmé de l'Etat dans le financement des conservatoires de musique. Une décision qui risque d'aggraver les inégalités et mettre en danger la formation du public et des musiciens de demain.

C'est le dossier brûlant du moment. Il y a deux mois l'intention affichée par la Mairie de Paris de réformer ses dix-sept conservatoires d'arrondissement m'incitait à la plus vive inquiétude. Aujourd'hui, c'est pour toute la galaxie des conservatoires qui illuminent nos vingt-deux régions que l'on doit s'alarmer : à compter de cette année, l'Etat ne leur versera plus un centime.

Plus un kopeck pour les conservatoires !

Certes, la part ministérielle a toujours été minoritaire dans leur financement : moins de 10 % il y a dix ans. Mais, depuis, elle n'a fait que fondre, sous l'effet des lois de décentralisation de 2004, au point de devenir nulle à ce jour. On comprend mieux, alors, pourquoi les « Conservatoires nationaux de région », qui n'avaient en réalité de nationaux que le nom, ont été rebaptisés « Conservatoires à rayonnement régional »... Seule une poignée d'établissements adossés à des pôles universitaires seront épargnés. Pour les autres : plus un kopeck, des clous, macache.

Conséquence de ce désengagement, la totalité des charges est désormais supportée par les collectivités locales – en particulier les villes –, alors même que les dotations de l'Etat qui leur sont allouées diminuent. Sur le terrain, le jeu de massacre commence : là c'est un professeur parti à la retraite qui n'est pas remplacé, ici ce sont des sessions d'orchestres annulées, des classes à horaires aménagées fermées, ailleurs on augmente les frais d'inscription, ou bien on cherche à recruter des enseignants moins rémunérés, donc moins qualifiés... Bref, c'est tout le système qui souffre.

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Un système pourtant né d'une volonté politique

Or ce système, il n'est pas né par hasard. Il est né d'une volonté politique, en particulier celle de Marcel Landowski lorsqu'il était directeur de la Musique au ministère de la Culture. C'est grâce à son plan décennal de développement, mis en œuvre à partir de 1967, repris et amplifié par les gouvernements successifs, que notre pays s'est doté d'un réseau de conservatoires unique en Europe.

Aujourd'hui, on compte sur tout le territoire 440 établissements « classés » – c'est-à-dire reconnus et labellisés par le ministère de la Culture, selon la qualification de leur corps enseignant et leur offre pédagogique – qui accueillent quelque 300 000 élèves ; s'y ajoutent environ 3 500 structures municipales et associatives pour près d'un million et demi d'usagers. Les subsides naguère concédés par l'Etat n'étaient que symboliques ? Certes, mais le propre des symboles, c'est d'avoir une force, et sans cette force, on ne serait jamais parvenu à un tel résultat. Comment le ministère pourra-t-il désormais prétendre imposer ses exigences qualitatives sans mettre la main à la poche ? Et, d'ailleurs, le souhaite-t-il encore ? La volonté politique d'hier ne s'est-elle pas inversée, sous l'effet d'un air du temps qui juge, à tort, les conservatoires trop élitistes, trop académiques ?

L'intérêt général sacrifié sur le bûcher des vanités parisiennes

A propos de symbole, il en est un qui nous chagrine. Ce nouveau recul sur le front de l'enseignement artistique intervient alors que l'Etat engloutit des millions dans la Philharmonie de Paris (pardon d'insister). Un projet, on se plaît à nous le répéter, qui a vocation à revitaliser l'activité culturelle dans le nord de la capitale – un projet local, donc. C'est le monde à l'envers, l'intérêt général sacrifié sur le bûcher des vanités parisiennes. Pourquoi diable construire de luxueux auditoriums, si l'on ne fait plus aucun effort pour former le public et les musiciens de demain ? Dans un monde à l'endroit, on ne verserait plus aucune subvention aux Opéras, aux orchestres permanents, aux salles de concerts, tout l'argent serait investi dans l'enseignement, et les structures de diffusion vivraient naturellement de la demande qui en découlerait – rêvons !

Cet abandon des conservatoires est une faute politique majeure, dont aucun gouvernement depuis une décennie ne peut s'exonérer. A l'heure où l'on invoque l'union nationale, la reconquête des territoires perdus de la République, c'est une de ses prérogatives essentielles que la nation abdique, un fleuron de nos territoires que la République délaisse. Y'a-t-il un pilote dans l'avion pour au moins s'en émouvoir ?

Article publié dans Diapason

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